33, rue du Blog (23)
Ils sont là ! Quelle chance ! Alex me prend dans ses bras avec sa chaleur habituelle et m’embrasse le front, les cheveux, les joues.
- Ma chérie, tu m’as manquée ! Montre-toi, tourne, oui, toujours aussi belle…
Adelin sourit. Il sait très bien que si j’étais un garçon, Alex m’aimerait. Il sait aussi très bien que si Alex aimait les femmes , je l’aimerais. On s’aime comme on peut, en boitillant, ce n’est pas un vrai amour, c’est quelque chose qui y ressemble. Il a besoin de me voir, de me parler ; j’ai besoin de lui confier mes petits soucis : il m’écoute, réfléchit, interroge et je vais déjà mieux. Adelin garde néanmoins un œil sur nous : on ne sait jamais… Mais il est la gentillesse même ; pour l’instant, il me prépare un thé au citron et sort les biscuits de la boîte.
- Merci Adelin, vous avez sûrement autre chose à faire…
- On a le temps, intervient Alex. Les bagages, c’est pour tantôt. Alors, raconte, qu’est-ce qui se passe ici ?
Je raconte…ce que je sais, pas ce que je fais. Ils connaissent mon ex, c’est d’ailleurs un peu à cause de leurs conseils que j’ai rompu, mais ils trouveraient sans doute rapides mes dernières rencontres sentimentales… Dans son panier rose, Luna écoute la conversation ; ses yeux noirs, brillants suivent les gestes de ses maîtres. Adelin ouvre un sac de cuir fauve et en sort avec précaution un petit paquet emballé de papier cadeau.
- Allez, donne-le-lui, Alex.
C’est pour moi, cette petite vierge noire en cire, en robe bleu-nuit galonnée d’or, couronnée d’un diadème.
- On a pensé que cela irait sur ton bureau. Alex l’a acheté pour qu’elle t’inspire… Elle vient de Florence. Si tu savais le monde qu’on a rencontré ! On a lié connaissance avec des artistes qui visitaient mon exposition, des amateurs d’art, des critiques. Tiens, je vais te montrer les articles des journaux. Ah ! Tu ne connais pas l’italien, c’est dommage ! Tu devrais apprendre.
Je me dis qu’en effet, ce ne serait pas inutile…
Plusieurs journaux ont relaté l’exposition d’Adelin ; des photos reproduisent la délicatesse de son coup de pinceau, le bleu tout personnel qu’il a en quelque sorte inventé. Ici, Adelin en conversation avec un grand type maigre et élégant, habillé de noir ; là Alex désignant à un admirateur un personnage presque nu, sorte de St Jean Baptiste dans le Jourdain ; tiens, revoici l’homme maigre et élégant. Le buffet semble fort apprécié ; dans la foule, mais de dos, j’aperçois Adelin , encore flanqué de l’inconnu en noir.
- Adelin, qui est ce monsieur avec qui tu parles ?
- Oh ! Un homme charmant, bien nanti, je crois. Il s’intéressait de près à ma peinture et m’a même demandé mon adresse. Il vient parfois à Bruxelles et aimerait, m’a-t-il dit, voir mon atelier et la façon dont je procède. J’avoue que j’étais flatté…
- Moi, il ne me revient pas, ce bonhomme, tranche Alex. Je me demande ce qui t’a pris de lui raconter ta vie ! Et j’ai une vue ensoleillée sur le parc, par-ci, et les locataires sont tranquilles c’est indispensable pour travailler, par-là… Tiens, à propos, tu n’as pas dit à Annabelle que tu la voudrais comme modèle pour un buste de nymphe… Tu serais d’accord, Annabelle ?
Annabelle
(M.E.)