LE PIANO QUI N'AIMAIT PAS LES CHATS
Samedi dernier, nous
avons eu une journée d’Atelier d’Ecriture, sur le thème, très général «
La musique ». C’est toujours passionnant, car la musique prise au
sens large permet des improvisations amusantes ou émouvantes. Ici nous
devions choisir une phrase parmi six autres et lui donner tout son
sens. Voici mon exercice.
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Il trône, de biais, dans l’encoignure de la fenêtre. Il
est fermé, grave, digne. Il connaît sa puissance, ses prestidigitations
soudaines, ses airs guillerets succédant à Vivaldi ou à Beethoven.
C’est un piano de bonne compagnie. On le respecte. On étend
une écharpe de velours rouge sur ses touches. Il est
satisfait. Sauf quand un distrait oublie de le refermer. Alors il
transit. Il sait pourquoi…
Sur ses élégantes
pattes blanches, Swali s’approche. C’est une petite chatte effrontée
qui tape à la machine. Sa maîtresse, indulgente, tolère.
Quelquefois, Swami est très appliquée. Elle y va du bout des
ongles, hésite, recommence, examine le résultat sur la feuille.
Puis s’ébroue et s’en va.
Mais le piano est tout
recroquevillé. Il est à nu et l’œil perçant de Swami ne l’a pas
raté.Un bond souple, un son étouffé, le « la » du piano gémit, le
regard de la chatte s’allume. Une autre note ? Un « sol » quant à
faire. Un « ré » peut-être ? La cacophonie se déclenche, d’abord
hésitante puis presque cadencée. Swami parcourt le clavier avec
assurance. Son oreille droite bouge : ai-je joué en mesure ? Le
piano grince, il dit non, il dit « va-t’en », il dit je souffre .
Alors Swami, compatissante, s’assied au bout de l’instrument qui
s’époumone comme on s’étrangle, et d’une patte raffinée lisse
longuement son pelage irréprochable.
LORRAINE