Monologue sur canapé
O, Edouard, toi qui m'a allongée sur ce canapé...
Toi qui as piqué la fleur dans mes cheveux
Et arrangé les draps sur le lit...
Pourquoi m'as-tu fait cela ?
D'où t'es venue l'idée saugrenue
De faire venir cette négresse
Avec son ridicule bouquet ?
Mon corps, mes yeux, mes seins
Ne te suffisent donc pas ?
C'est pourtant toi qui es venu me chercher
Dans la guinguette où je servais à boire.
J'aimais bien y travailler,
C'était très gai.
Tous ces artistes qui venaient y faire la fête : Auguste, Claude et les autres...
Ils me tournaient un peu autour,
Essayaient de soulever mon jupon
Ou de me voler un baiser...
En vain !
Je faisais ma fière, pas question de céder
Je ne suis pas une catin !
Et puis unjour, tu es entré, Edouard
Avec ta canne et ton canotier.
Tu as posé ton regard sur moi
Et là, tout de suite tu m'as chamboulé le coeur et la tête...
Ton oeil brillant, exalté suivait la courbe de mes seins,
En caressait la forme
Et suivait ma taille fine et mes hanches pleines
C'était clairement du désir...
Un désir si impatient qui te fit me demander
Tout de suite
Si j'acceptais de poser pour toi.
Les bras m'en sont tombés
Mais ma tête a dit oui.
Et c'est ainsi que tout a commencé.
Tu m'as fait déjeuné sur l'herbe
Tu m'as transformée en demoiselle
Gantée, chapeautée avec une ombrelle...
Et puis voilà où j'en suis aujourd'hui...
Je pose nue pour la première fois...
Dans ton atelier où jusqu'à ce jour
Tu ne m'avais jamais amenée.
J'ai tout accepté, avec le fol espoir
De voir tes mains enfin délaisser les pinceaux
Que tu manies avec tant de tendresse
Pour se poser sur moi
Et me couvrir de caresses.
Mais ton regard sur moi est aveugle
Je ne suis guère plus pour toi
Q'un nénuphar sur les eaux de Giverny...
Annie