33, rue du Blog (55)
Xavier Lenoir m’évite. Tant pis pour lui ! Depuis notre soirée ratée « en amoureux » au 23, il ne sait sur quel pied danser. Il se croyait fort, bien déterminé dans ses conventions sentimentales « Pas d’attaches » et ce qui s’ensuit ; il n’avait pas prévu que j’appuierais ces propos, les résumant en une phrase : « On s’appelle pour faire l’amour, un point c’est tout. Chacun est libre de son côté ». Revendiquer cette « liberté », c’est bien ; l’entendre explicitée et approuvée par l’autre, c’est moins drôle.
Sans doute en aurions-nous discuté l’autre soir, mais la présence de presque tous les locataires de l’immeuble a si bien interrompu notre tête-à-tête que nous en sommes toujours au même point. Que voulait-il me dire qu’il a tu ? Qu’aurais-je souhaité ? C’est toujours aussi imprécis et, en attendant, on ne s’est pas revus dans l’intimité.
Alex a remarqué cette absence, bien entendu. Son instinct féminin tressaille au moindre indice :
- Anna, ça va comment avec Xavier ?
Quand il m’appelle « Anna », c’est qu’il est préoccupé. Il cesse la grandiloquence et adopte l’incisif.
- Ca va…On ne se voit pas, donc…
- Adelin m’a dit qu’il est venu le jour de l’accident, et vous a conduites à l’hôpital, Véro et toi , …
- C’était à la fois professionnel et amical. Il reste un ami. Il est libre, non ?
- Hum ! fait Alex qui en a vu d’autres.
- C’est quoi, ce hum , s’il te plaît ?
-Libre…libre…vite dit ! Vous avez passé beaucoup de temps ensemble, assez pour savoir si vous vous plaisez ou non…Qu’est-ce que tu lui as fait, Anna ?
Non ! Il continue à m’appeler Anna ! C’est donc sérieux !
- Mais rien. Rien du tout.
- Et c’est pour ça qu’il ne vient plus ?
- Oh ! Alex, je t’en prie… Aide-moi plutôt à terminer les invitations.
Il hausse les épaules comme s’il était excédé. Assis côté à côté, nous écrivons les noms des habitants de l'immeuble.
- Tu veux un bon conseil ? Méfie-toi de ton orgueil.
Stupéfaite, je le regarde : il pense encore à cela. Oui, il inscrit justement l’adresse de Xavier :
- Cet homme nous a aidés, même ‘il n’est pas vraiment voisin, on l’invite.
Je me tais. Je calligraphie le nom de Madame Amélie. Alex s’en aperçoit et murmure :
- Tu sais, elle n’est pas très catholique, notre voyante…Des bruit courent.
- Tu écoutes les ragots, maintenant ?
- Non, non…Mais je tiens d’Angélique qu’elle met toujours de la musique douce quand elle reçoit ses clients, une musique « assez érotique » a précisé la concierge.
- Enfin, Alex ! Sa clientèle est mixte, je suppose, des hommes et des femmes.
- C’est justement ce qui inquiète Angélique : sa musique, elle la met dans les deux cas.
- La musique l’aide peut-être à entrer en transes ?
- Justement !…Angélique pense que ce sont des transes…sexuelles.
Je suis soufflée. La si distinguée Mme Amélie, voyante de son état, serait en fait une « femme facile » à domicile, le pendant d’Amanda en moins jeune et plus raffinée ! Je n’arrive pas à m’en convaincre.
La sonnette retentit :
« Puis-je entrer ? » interroge la voix ferme de Xavier.
ANNABELLE
(M.E.)