33, rue du Blog (129)

            Je reviens à moi aspergée d’eau de Cologne par une Angélique abasourdie :

            - C’est vous, la « tête pensante », Madame Annabelle ?

            Elle n’en revient pas.  J’ai beau secouer la tête avec la dernière des énergies, elle me contemple avec un mélange de crainte et de respect.  Je n’ai plus de force.  J’essaie de me mettre debout, je retombe sur le banc de bois du commissariat. Prévenant, Ali Naquuntif (ou quelque chose de semblable), s’assied à mes côtés et murmure :

            - Vous ne vous doutiez de rien ?

            - Comment voulez-vous ?…Il ne cherchait pas le Stradivarius chez moi, il en aurait plutôt joué…

            Je dis des bêtises,  la découverte m’a assommée. Et pourtant, quand je me remémore le récent passé, tout dans le comportement de Xavier Lenoir confirme la thèse : c’est lui le cerveau.  Qui a-t-on vu le plus au 33 ?  Xavier Lenoir .  Qui s’est occupé de chacun en particulier ?  Xavier Lenoir .  Qui allait librement dans l’immeuble ?  Xavier Lenoir .Il était sur les lieux quand Adelin a repeint la façade et toujours là à la fiesta qui  suivit.  Il a fouillé l’appartement d’Aldo disparu ;  il interrogea chacun en particulier pour « relever des indices »…non pour la police, mais pour lui-même !  Apparemment, la fuite d’Aldo l’a surpris et bigrement ennuyé :avait-il ou non emporté son Stradivarius ?  C’est d’ailleurs une question qu’il posa à chaque habitant de l’immeuble qui aurait pu le croiser.  Il avait ses entrées libres,  me rendait des visites particulières,  repartait tard ou ne repartait pas ; quand Amanda séjourna à Knokke avec sa copine Anna, il eut tout le loisir de grimper au 6^ème en quittant mon étage à 3 H. du matin. Il ne craignait pas de rencontrer du monde.  Plus tout ce que j’oublie. 

            Je frissonne.  C’est lui aussi qui a tué la vieille Durieux… Quand ?  Comment ?  Pourquoi ?  Un témoin, sans doute, qui aurait pu le dénoncer.  Je suis blème.  Ali me tend un verre de cognac.

            - Pas facile de découvrir que son amant est un assassin…

            Je hoche la tête, incapable de parler. 

            - Allons, remettez-vous… Vous n’échapperez pas aux interrogatoires, bien entendu…

            Bien entendu !… Va-t-on me croire complice ?  Le bel Armand me détaille d’un air soupçonneux.  Amanda me toise.  Adelin et Alex veulent s’approcher, mais le Commandant Ali intervient :

            - Messieurs, restez là, je vous prie.  On vous entendra en temps voulu.

            Les jeunes…pacsés se tiennent la main dans un geste de réconfort.  Je devine vaguement que les policiers ont joué le jeu, laissant Xavier Lenoir au premier plan comme s’il était des leurs,  et attendant le moment propice pour le coincer.  L’assassinat d’Aldo Farinetti en l’occurrence !

            - Deux meurtres !… Ce n’est pas possible…

            Comment cet homme, si doux dans l’intimité, peut-il de sang-froid assassiner deux personnes ?  La tête me tourne.  J’entends vaguement que Ange Santini a été cueilli par une ronde de police,  dans le quartier de la rue de Brabant.  Il était étendu dans le ruisseau, groggy,  un poignet cassé, le veston déchiré, la main droite meurtrie.  Je me rappelle soudain le retour de Xavier Lenoir, une déchirure au menton, le visage tuméfié. Si Ange fait partie du complot, pourquoi ne l’a-t-il pas occis,  lui aussi ?

            J’ai plein de questions, mais seulement quelques réponses.

            - Venez, Annabelle,  vous vous reposerez un peu en attendant demain. Nous avons besoin de votre témoignage.

            Je chancelle.  Le commandant Ali me soutient.  Il m’emmène dans une petite pièce fermée par une grille, mais disposant d’un lit sommaire.

            - Je suis désolé, c’est le seul endroit dont nous disposons.  Reposez-vous bien…

            Il me serre gentiment la main.  Me reposer !..

            ANNABELLE