33, rue du Blog (58)

             Donc,  Xavier Lenoir frappe à ma porte.  Alex et moi on se regarde, surpris.. J’ouvre.  Il est fringué comme un prince et sans voir Alex, me dit précipitamment:

            - Je vous emmène.  Une petite promenade en forêt, ça vous dit ?

            Alex  tousse  discrètement :

            - Bonjour, vous allez bien ?..

            Xavier lui lance un regard …noir , l’air de dire

« Qu’est-ce qu’il fait ici, cet homo ? Vous préférez sa compagnie,  c’est ça ? Je trouve bizarre cette amitié, il est assis à votre table, qu’écrivez-vous tous les deux, il boit un porto…Si je suis de trop, dites-le…Je ne fais que passer.  Si vous voulez que je parte… »

Tout cela dans un regard. Il est expressif, Xavier. J’ai soudain envie de rire. Et je ris. Alex  debout,  ramasse ses cartons :

- Je terminerai seul., Anna, ne t’inquiète pas..

- Vous vous appelez Anna ? interroge l’inspecteur, soudain  soupçonneux.

- Non, Annabelle, vous le savez bien tout de même…

- Est-on  jamais sûr…Donc, Annabelle Dumesnil, de votre nom de jeune fille.  Vous êtes divorcée et…

- C’est un interrogatoire ?

Il commence à me pomper l’air.  Pourtant, quel charme ! Le regard bleu et perspicace, les cheveux presqu’argentés, juste assez longs pour adoucir un menton carré…Allons, Annabelle, secoue-toi.  Tu ne vas pas tomber amoureuse d’un type qui veut à tout prix garder sa liberté ! Non que tu veuilles la lui prendre, mais réduire vos rencontres à une exploration systématique du Kamasoutra commence sérieusement à te lasser. A-t-il dit cela ?  Non, pas exactement, mais…

Mais nous partons en forêt comme des amis.  Il me prend la main de temps en temps, je la lui abandonne de temps en temps.  Nous faisons tous les deux semblant d’être très bien ainsi.  Je sirote un verre de jus d'orange dans une laiterie forestière, il déguste un verre de bière et nous parlons tellement de tout et de rien que je ne sais plus ce que nous avons raconté.  Revenus au 33, il m’a laissée devant la porte, promettant de revenir.  J’étais éreintée.  Je me suis couchée et j’ai dormi tout de suite, tard dans la matinée de dimanche.

Il paraît qu’Amanda est revenue.  Son amie Anna (tiens !) l’accompagne.  Angélique m’en a parlé. Elle n’a pas l’air de la porter dans son cœur. 

- Méfiez-vous d’elle,  Madame Annabelle, m’a-t-elle chuchoté.  Elle n’est pas clean, cette fille…

Et pourquoi moi, justement, je devrais me méfier ?  Je cours vers mon métro, je suis pressée, j’ai un déjeuner au Métropole avec une délégation venue de Grasse pour parler d'un nouveau parfum à une journaliste du "Départ" et moi-même. L'attachée de presse nous présentera un « Nez » que j’aurai l’immense privilège d’interviewer avec ma consoeur.  C’est une exclusivité.  « Pour bonnes femmes », dirait mon ex, qui ricanait volontiers. 

Bon, je file. Le 33 a l’air cool.  Armelle a sans doute congé, elle sort à l’instant en compagnie d’un mastodonte en cuir noir, comme elle.  Demain, c'est le 31. Je me demande ce que cette fête d'immeuble va donner. Et, soudain, je crains le pire !

Annabelle