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Eclats de Paroles
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31 mai 2005

33, rue du Blog (60)

           Ils étaient convaincus de l’importance de leur mission, les parfumeurs !  Nous étions sept autour d’une excellente table.  Le « Nez » m’assommait. Je faisais semblant de prendre des notes entre deux bouchées.  De toute façon, ces Messieurs ne nous apprendraient rien d’autre que ce qui était amplement détaillé dans le dossier.

Marie-Cécile, l’attachée de presse,  ficelle bien ses informations et sait comme nous, les journalistes, que l’invitation à déjeuner est surtout une façon de nous séduire.  Le « Nez » débitait son discours, moi je regardais son nez ; il était quelconque, ni particulièrement beau ni particulièrement laid.  Je me demandais s’il l’avais assuré mais je n’osais pas poser la question.  Quand je quittai le restaurant, devoir accompli,  je me sentis libérée et rentrai aussitôt au 33.

            C’ést l’effervescence.  Je n’aurais jamais cru que « Immeubles en fête »  stimulerait tant de bonnes volontés.

            - Madame Annabelle,  c’est quoi, votre participation ?

            Sans réfléchir, je dis « Des avocats farcis au thon », c’est à peu près la seule chose que je sais faire en cuisine.  Elle opine :

            - Très bien.  Vous en ferez combien ?

            - Ma foi…je n’ai pas compté… A votre avis ?..

            - Une douzaine, ce sera parfait.

            Angélique, à n’en pas douter, a pris le commandement. Une sorte de malabar lui obéit au doigt et à l’œil ; il a d’ailleurs un doigté de fée qui m’étonne.  Elle accroche Amadeo qui essaie de s’esquiver en catimini :

            - On compte sur vous ce soir, hein ?  Vous apportez quoi,  pour le buffet ?

            - Du chianti, de l’excellent chianti… Ah ! le chianti il délie les langues, il chante dans les cœurs…

            S’il délie les langues, ce n’est pas du goût de tout le monde, me semble-t-il.  Ange Plattini, élégant comme jamais, fronce son sourcil noir.  Il me salue d’un léger sourire. Il s’apprivoise, cet homme, on dirait.  Il jette un furtif regard vers la fenêtre du  2ème dont le rideau frissonne.  La voyante lui a-t-elle prédit un avenir comblé ?  A l’instant, Adelin déboule dans la cour.

            - Fermez votre volet, Angélique, vous savez bien que c’est in-dis-pen-sa-ble à la perspective du trompe-l’oeil.  Heureusement que j’ai été voir.

            - Ah ! c’est vous le peintre, s’extasie une voix vulgaire.  Que je suis heureuse de vous connaître !

            Adelin se retourne ; derrière lui, une créature abondamment échancrée , l’agrippe avec effusion.  Adelin s’en passerait.  S’il aime la peinture, il n’aime pas le peinturlurage et le visage de la dame en est un saisissant exemple. 

            - Appelez-moi Anna, susurre-t-elle assez haut pour qu’on l’entende.  Je suis une amie d’Amanda, votre chef-d’œuvre m’a éblouie. Je songe à vous en commander un semblable pour ma villa…

            Adelin, coincé, va répondre.  Mais plus preste, Alex qui vient d’arriver, affirme avec autorité :

            - Madame, il vous faudra patienter ; le carnet de commandes du peintre Adelin  Minois est plein jusqu’au printemps prochain.  Nous en reparlerons, si vous voulez bien.

            Et l’empoignant fermement par le coude, il l’entraîne avec une courtoisie très mâle jusqu’au bas de l’ascenseur.

            - Je crois qu’Amanda vous réclame, dit-il en actionnant le bouton du 6ème.

            Je m’amuse.  Alex sait parler aux femmes, à toutes les femmes, c’est son charme : les grandes, les belles, les idiotes, les âgées, les jeunettes, les bouts de chou, les intempestives, les rigolotes, les quelconques, les motorisées… Car Armelle qui vient de donner un bon coup de poing amical dans l’épaule du malabar,  se tourne vers Alex avec un sourire d’ange :

            - Alex, je vous appelle Alex, n’est-ce pas, nous sommes tous copains aujourd’hui !

            Et Alex, gracieux, répond :

            - Armelle, votre prénom est un bonheur.  Je vous appelle donc Armelle.

            Un peu éberluée,  je me dirige à mon tour vers l’ascenseur quand en sort la distinguée voyante :

            - Amélie, dit aussitôt Alex, quelle joie de vous voir. N’avez-vous pas promis du champagne ?

            Ambroise qui s’avance, trois chaises sous chaque bras, s’arrête  pile : Amélie est en robe longue (il est 4 H. de l’après-midi), d’un rouge profond, un collier de perles au cou, moulée, maquillée,  coiffée,  son âge habilement fondu dans le fond de teint…Elle croise son regard et prédit :

            - Jeune homme, vous n’avez pas fini d’en voir…

            Je monte.  La tête me tourne un peu.

           Annabelle

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